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OhDé Fanzine
Une histoire de trick (1/2)
  • Publié le : 05/10/2020
  • Auteur : Sly Clinton
Shred O mètre: 1150pts
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Partie 1

On me dit souvent que je suis d’un naturel agréable et facile à vivre, et honnêtement j’avoue que c’est vrai.
Attention, je suis pas Bouddha hein, y’a quand même des trucs qui me gavent des fois. Genre les motards qui tapent une pointe de vitesse pour une ligne droite qui fait même pas cent mètres, les pintes pas remplies en dessous du trait ( comment tu peux louper ça merde, c’est la base du taff ! ) et les Arctic Monkeys.
Mais si je devais choisir, rien ne me gave plus que les gens qui disent «  j’y étais » alors qu’en fait ils y étaient pas du tout. Là, quand j’entends des conneries pareilles, là je peux vraiment être dangereux.
Tu sais c’est quoi le pire ? C’est qu’en fait, des faux témoins comme ça, ben y’en a pas mal dans le skate, à peu près autant que des fans de Trust à la retraite, c’est dire ! A les entendre, t’as l’impression qu’ils ont tous été en tournée avec Thrasher ou qu’ils ont vu de leurs propres yeux Adrien Bullard passer le set de marche immense à côté de la Taverne de Thor à Rouen ; déso les boys et les girls, je doute fortement que vous fussiez cinq cents devant la Halle aux Toiles ce jour-là. Même moi j’ai loupé ce moment historique, à quelques minutes près ; sans cette petite qui voulait absolument un autographe sur sa board à côté de Bud’s Skateshop, vous auriez vu ma gueule à côté des buissons.
Mais la Palme d’or du mytho de l’anecdote doit revenir à cette photographe de skate, qu’a pas mal traîné comme moi dans les grands spots européens fin 80, début 90 ( hé oui les kids, j’ai plus seize ans depuis belle lurette ). Elle devait me filer des photos pour un article sur le nouveau skatepark d’Anvers, et de fil en aiguille de couturière on avait dérivé sur les meilleurs tricks au coping qu’on avait pu voir dans notre carrière.
Et là, devine ce qu’elle me balance, la Christelle, entre deux verres de Merlot ?
Tu sais que c’est moi qui ai pris la PREMIERE photo du PREMIER Russian Boneless ?
Elle me regarde avec ses yeux mi-clos, elle veut me séduire. J’étais carrément interloqué, je sentais des images remonter dans mon crâne de manière diffuse ; du coup, je lui demande aussitôt :
- T’es pas sérieuse ? Mais c’était quand ?
- En 1995, qu’elle me fait avec son air tout fier.
Mon alcool sanguin ne fit qu’un tour, et embarqua mes souvenirs reconstitués de ma mémoire jusqu’à mon cœur, qui battait un rythme syncopé.
-T’es bien sûre de ce que t’avances ?
- Complètement Sly ! J’ai pris la photo en mai 95, et elle est sortie dans Crazy Riding Magazine ( ah, les années 90 ! ) en juin 95 !
J’avais aucunement envie de la vexer la Christelle, d’autant plus que le Merlot lui décoiffait les cheveux et lui décoinçait le jean, mais je ne pouvais pas rester impassible, malgré mon naturel agréable.
- Je suis désolé de briser ton rêve Christelle, que j’lui balance, mais le premier Russian Boneless est bien plus vieux que ça… Ca date au moins de 1989 !
- Ah ouais ? elle fait, piquée au vif, et comment tu sais ça monsieur Clinton ?
Et là, sans condescendance aucune, le verre à la main tel un espion de bas-étage, la vision oscillant entre ses yeux chauds cernés au crayon et mes souvenirs brûlants, presque noirs et blancs, je lui lance :
Je le sais, Christelle, parce que j’étais là.
Flashlight. Flashback. Music and Lights.
J’étais parti avec une équipe parisienne à Berlin faire un reportage sur une grosse, très grosse vidéo européenne collaborative. On était arrivé début octobre 1989, et c’était déjà bien le bordèl dans ce qu’on appelait encore à l’époque la RDA, même si on avait prévu de rester dans Berlin-Ouest.
Je ne vais pas m’étendre sur notre séjour, tout a plus ou moins été dit dans «  Retour au Love Park « : la rivalité entre les crews européens, la quête du meilleur spot de la ville – les quais de la Spree, la Rathaus, les escaliers de Tiergarten -, et surtout mon fameux kickflip devant le Reichstag, qui m’avait valu une embrouille avec la Polizei, et les compliments d’Heidi, la caméra-woman du groupe, avec les intrigues amoureuses que vous connaissez. Bref.
On avait fait une grosse, grosse chouille le 8 novembre pour fêter la fin des tournages, satisfaits des rushs récupérés, dont ce magnifique Sal Flip de notre Karim national près de la Maison des jeunes de Kreuzberg. Et franchement, autant les Allemands faisaient face à leur histoire cette année-là, autant ils n’avaient pas oublié l’histoire ancestrale de la darasse.
Alkohol ! Arzneimittel !
- Bist du derjenige, der über das Skate-Video berichtet? Willst du heute Nacht mit mir schlafen ?
- Ja ja !
Depuis ce 8 novembre, je ne bois plus de vodka russe.
Je me réveille à 15h sur un matelas insalubre, avec un slip pour tout vêtement. Après vérification, ce n’est pas le mien ; tant pis. Je ne reconnais pas le squat de Niklas. Par chance, Karim est écroulé dans le canapé au centre de la pièce, et il a les yeux ouverts. Sa planche gît à ses pieds, pétée en deux.
- Ca boume Sly ?
- Bof, je suis bien flagada ! On est pas chez Niklas ?
- Je crois pas. Je me rappelle plus. J’ai pété ma planche, fait chier.
Une meuf avec des cheveux noirs mi-longs, des poches sous les yeux et en culotte-débardeur débarque de la cuisine avec une cafetière. Je reprends vie quand elle nous parle anglais. Après quelques politesses – elle s’appelle Hannah, et habite avec sa meuf ici - et deux cafés bien serrés, j’arrive à lui demander ce qu’on fout là, Karim et moi. Il est carrément au large le pauvre. Hannah rigole, et me fait comprendre qu’elle nous a croisé en rentrant chez elle, qu’on foutait un peu trop le bordèl dans la rue vers 4 heures du mat’ et que, comme la police est bien plus vénère ici que de l’autre côté, elle nous a convaincu de crécher chez elle.
- The other side ? Which other side ?
The other side of the wall.
J’ai pas compris sur le coup. Je la regarde, incrédule, pensant qu’on avait atterri chez les voisins, ou un truc dans le genre. Hannah a l’air de ne pas comprendre non plus. C’est la foire au quiproquo.
- What ? Where are we exactly Hannah ?
- Ost-Berlin, qu’elle fait le plus naturellement du monde.
Berlin-Est. On est sérieusement dans Berlin-Est. Putain.
Karim pige rien, il me demande :
- Elle a dit quoi ? On est où ?
- Dans la merde.
- Quoi ?
- Elle a dit qu’on était dans la merde.
- Fin de la partie 1 -


La suite est disponible :
Lire la partie 1.5 !
Sly Clinton, né à New Yeurk City, compte parmi les plus grands auteurs de romans skatebeurdistiques (Trois jours sur le spine, Retour au LOVE Park, Deux kickflips et toi, Waxe-moi si tu peux). Après ses études d'ingénieur aéronautique, il se reconvertit en danseur étoile. Cependant ses torticolis chroniques l'obligeront à abandonner sa carrière prometteuse et à vivre dans la rue, plus précisemment sous la rampe d'un vieux skatepark en métal rouillé. Il commencera alors à écrire en gravant ses textes sur ses canettes de bières à l'aide d'un caillou. Il vit maintenant à Ricarville, avec sa femme et ses trois enfants.
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